Il retrouva avec plaisir la vieille hutte, nichée sous les arbres, perchée sur ses pattes de poulet qui, quand il s’approcha, voulut prendre la fuite. Il rit en se souvenant du subterfuge qu’il avait dû inventer. Inutilement. Il avait, depuis toujours, le moyen de l’obliger à ouvrir sa porte : la cabane était en réalité un volatile et lui obéirait comme tel. Il cria dans la langue commune :
– Hutte-chaumière, Écoute ma prière Obéis à ma voix Tourne-toi face à moi Chez toi, je veux entrer, Avec Baba Yaga, parler
La hutte obéit aussitôt, revint à sa place, la porte s’ouvrit et le jeune homme entra. Le passage de Vassilissa n’était plus qu’un souvenir, l’intérieur était redevenu un capharnaüm, un bric-à-brac poussiéreux et terne, les araignées couraient, invisibles, se balançant de fil en fil. Au milieu, la sorcière regarda son fils pénétrer encore une fois chez elle, sans en avoir été invité, sans que la cabane s’y oppose. Elle ne savait si elle devait se réjouir qu’il soit si habile, car elle avait besoin de lui, ou au contraire s’en inquiéter, car, tôt ou tard, elle le sentait, ils devraient s’affronter.
Kochtchéï lui sourit. Ils ne s’étaient plus revus depuis qu’ils avaient réussi à arracher son secret au Non-mort. Leurs rapports étaient simples. Il la haïssait, il ne dépendait plus d’elle. Mais on ne pouvait plus la tuer et tant qu’il n’aurait pas trouvé un moyen de le faire malgré tout, sans risque d’échouer, autant être son associé. Quant à elle, elle avait longtemps regretté de ne pas l’avoir changé en racine de mandragore quand il n’était qu’un enfant, mais à quoi bon ressasser le passé ? Baba Yaga avait un gros problème sur les bras et lui seul pouvait le résoudre. C’était son fils, elle était sa mère, c’était, lui sembla-t-il, une base suffisamment sérieuse pour collaborer. Si tel n’était pas le cas, elle savait comment le motiver. Il se vantait d’être le plus grand sorcier de tous les temps et était d’une férocité sans égale contre ceux ou celles qui pouvaient concourir à ce titre.
– Je veux que tu tues Vassilissa. Cela ne devrait pas être difficile, c’est une gamine de quinze ans.
– Pourquoi ne le faites-vous pas vous-même, maman ?
– Arrête de m’appeler ainsi ! C’est agaçant à la fin. Vassilissa est plus dangereuse qu’elle n’y paraît. Petite, elle a réussi à m’échapper, je n’ai jamais su comment. Depuis, je l’espionne, mais elle cache son jeu, comme si elle avait deviné ma présence autour d’elle. Pourtant, je puis être transparente. À part ses gâteaux, elle ne fait rien d’extraordinaire. Je suis trop vieille pour prendre des risques et je ne peux m’attaquer à elle si j’ignore ses pouvoirs.
Kochtchéï sourit. C’était bien sa mère : vindicative et prudente, elle ne frappait que lorsqu’elle était sûre d’elle. Baba Yaga poursuivit. Elle en vint à ce qui l’avait alertée, ce qui avait ravivé son inquiétude.
– Elle arrive à un âge où ses dons atteignent leur maturité. Alors, elle ne pourra plus me les cacher, mais elle sera plus difficile à tuer.
Elle fit une pause. Depuis des mois, elle était confrontée à ce dilemme pour éliminer Vassilissa : la frapper tout de suite en ignorant tout d’elle ou attendre de mieux la connaître quitte à lui laisser la possibilité de mûrir et de renforcer ses pouvoirs. Sa pusillanimité l’avait emporté. Elle avait choisi une troisième voie : Kochtchéï. Elle avait un fils qui avait les moyens de le faire à sa place. Son problème était le sien. Vassilissa était une sorcière en devenir, une suffisamment puissante pour être alors, pour l’un comme pour l’autre, un danger et qu’il fallait supprimer tant qu’elle n’était qu’une fillette.
– Au début, son père lui était indispensable pour la protéger et décourager les jeunes garçons trop entreprenants. Avec le temps, sa présence représentait au contraire une menace. Étant constamment à ses côtés, il pouvait surprendre son secret. Tu connais les hommes : pour sauver leur âme, ils sont prêts à nous dénoncer !
Elle regarda son fils en souriant avant d’énoncer le fait qui l’avait tant remuée, certaine que ce détail allait emporter sa décision :
– Fiodor est mort récemment, en voyage, en Chine, poignardé dans des circonstances mystérieuses. Pourtant, elle n’a pas bougé de chez elle. Et je te rappelle qu’elle n’a que quinze ans.
Elle fut déçue, Kochtchéï ne réagissait toujours pas. Elle ajouta pour tenter de le convaincre qu’il s’agissait bien d’un adversaire redoutable :
– C’est la fille de Lioubov. Si je ne m’en suis pas méfiée, c’est que sa mère est morte alors qu’elle n’était qu’une enfant. Comment a-t-elle pu devenir une sorcière si habile ?