Il avait cru devenir fou.
L’impensable était arrivé. La maison était vide, le mortier de Baba Yaga gisait dans un coin de la cuisine, renversé, méprisé, juste retour de ce que subissaient les autres objets dans la maison de la sorcière. Il chercha partout sa broche et ne la trouva nulle part. Était-elle partie avec ou l’avait-elle jeté dans le jardin ou dans la forêt toute proche, brindille parmi les brindilles ? Elle ne devait pas connaître son secret sinon elle l’aurait brisée, mais elle devait savoir qu’elle avait de la valeur pour lui et le punir en l’emmenant.
Il aurait voulu qu’elle l’aime, il était prêt à admettre qu’elle le rejette. Même après lui avoir sacrifié et sa mère et son amie. Lui avait-elle promis quoique ce soit en échange ? Rien. Il en aurait pris acte. Il n’avait exigé aucune contrepartie. On ne marchande pas ses sentiments. L’aurait-il tuée si elle lui avait opposé une fin de non-recevoir ? Peut-être. Peut-être pas. En tout cas, il se serait donné la mort. Or, en se comportant ainsi, en s’enfuyant avec la broche, elle l’avait condamné à vivre éternellement et à vivre sans elle.
Il eut un flash. Et si elle savait ? Si elle avait agi en connaissance de cause ? Il se souvint des paroles de sa mère, elle lui avait dit de s’en méfier, Vassilissa était dangereuse. Elle était la fille de Lioubov. Sorcière, fille de sorcière ! Elle avait trouvé le moyen de le torturer, tout en tenant sa vie entre ses mains pour éviter toute vengeance de sa part. Un instant, il l’imagina ainsi, sombre, calculatrice, cruelle, et n’en fut que plus amoureux.
Mais il la connaissait assez pour deviner que ce n’était pas le cas. Elle était si belle, si pure. Il venait de l’adorer en démon, il ne la chérissait pas moins en ange.
Il se saisit d’une poupée de chiffon qui traînait au sol et y mit le feu. Avec il embrasa les rideaux et d’autres tissus. Très vite, l’incendie se propagea. Empoignant une hache, il s’en prit aux meubles, les fracassant pour en faire des morceaux plus facilement combustibles. Il s’acharna particulièrement et avec une joie malicieuse sur le mortier de sa mère. Bientôt, il fut environné de flammes et n’eut plus besoin de faire d’efforts pour les alimenter, elles se développaient de façon autonome. Progressant par l’escalier, elles avaient envahi le premier étage, avant de s’attaquer à la charpente. À l’extérieur, on entendait hurler les voisins, mais le brasier était déjà hors contrôle, on songeait surtout à éviter qu’il ne s’étende à d’autres maisons.
N’ayant plus rien à faire qu’à contempler son œuvre, Kochtchéï s’assit à même le sol, croisa ses jambes sous ses fesses, posa ses mains sur ses genoux, regarda l’enfer de son âme s’emparer de la demeure. Suffocant sous la fumée, il riait comme un diable. Il fallait surtout que tout soit détruit ! Qu’il ne reste rien, pas même une aiguille… pas même une broche en bois tendre.
Malheureusement, s’il était immortel, il n’était pas insensible à la douleur. Quand les flammes le léchèrent et que la souffrance physique devint plus forte que celle du cœur, il se leva et sortit en titubant dans la nuit. En le voyant s’extraire de la fournaise, en l’entendant grogner plutôt que hurler suite à ses brûlures, en devinant son visage tordu par la haine, les villageois se signèrent et cessèrent de lutter contre l’incendie. Les plus courageux prirent la fuite.
Au petit matin, il était encore là, tel un démon, à contempler son œuvre. De nombreuses maisons avaient en parti étaient détruites et il ne restait rien de celle de Vassilissa. Il était toujours vivant. La broche ne se trouvait pas dans l’isba et Kochtchéï regarda désespérément la forêt. Devrait-il aussi y mettre le feu ?