Idolichtiè
Il avait mis le feu à la forêt, mais elle était trop vaste pour être sûr que tout avait brûlé.
Longtemps, il avait espéré… mais il était toujours vivant. Vassilissa semblait l’avoir oublié.
Il se décida à essayer de la retrouver. Vainement. Elle s’était évaporée.
Les mois passèrent. Il savait qu’il avait commis un sacrilège en accédant à l’immortalité, car Dieu, seul, est éternel[1], mais il n’escomptait pas une damnation aussi terrifiante : ne plus avoir la possibilité d’en finir, sa mort égarée quelque part dans la nature. Était-elle encore entre les mains de la jeune femme ? Plus le temps passait, plus il était convaincu qu’elle l’avait jetée dans la forêt en partant. Il l’avait bien incendié comme l’isba, mais elle était si vaste qu’il avait de fortes chances que la broche ait survécu aux flammes et soit perdue au milieu des débris.
Cette nuit-là, tandis que la maison se consumait et qu’il attendait, désespérant d’heure en heure, ses cheveux avaient blanchi, ils avaient pris une couleur cendre. Eux, si denses avant le désastre, s’étaient faits rares. Il ne s’en préoccupait plus et ils pendaient sur ses épaules et son dos. Sa chair rongée par la détresse avait fondu ne laissant que muscles et squelette, on aurait dit un écorché. Son visage émacié, son nez aquilin, ses longs doigts osseux, ses ongles affûtés en faisaient un oiseau de mauvais augure. Chaque jour, il ressemblait un peu plus à Baba Yaga.
Il réalisa qu’il lui fallait bien vivre puisqu’il ne pouvait périr. Bientôt, il devint célèbre de par le monde par le nombre de ses crimes et par sa barbarie. Il avait des surnoms dans tous les pays, dans toutes les nations : le Corps-sans-vie, le Corps-sans-âme, le Corps-sans-mort, le Pillard-tout-nu et même, parfois, aucun sobriquet, car il valait mieux ne pas l’évoquer. Mais tout ce qu’il faisait, toutes les cruautés qu’il perpétrait, tout cela n’avait, pour lui, aucun goût. Il lui fallait trouver un sens à sa vie, cette vie qu’il avait rendue infinie.
– Par-delà neuf mers et neuf royaumes se dresse une montagne de cristal…
La rumeur commençait ainsi et elle allait bon train. Les caravanes la transportaient, l’embellissaient. Tout le monde en parlait. Il y avait toujours quelqu’un qui avait rencontré quelqu’un qui l’avait aperçue à l’horizon lors d’un lointain voyage.
– Par-delà neuf mers et neuf royaumes…
Kochtchéï écoutait, enregistrait les récits, les recoupait. Une montagne de cristal n’était pas seulement une véritable merveille de la nature, le magnétisme qui émanait d’un tel endroit devait être fantastique. Le sorcier savait, comme tous les siens, que cette pierre par sa transparence, sa clarté, sa limpidité permettait de purifier les lieux, d’amplifier le rayonnement, le pouvoir des initiés, de favoriser la voyance. Le sommet devait être un point de la terre où la magie était intense.
Un jour, il rencontra enfin un homme qui avait avec lui un énorme fragment de roche cristalline dans un coffre pour preuve de ses dires.
– Les rayons du soleil s’y reflètent, la traversent, sont déviés. On croirait qu’ils dansent en la parcourant. La lumière semble s’être solidifiée pour former la montagne.
– Où est-elle ?
– C’est vraiment une merveille. Nul ne peut l’apercevoir et l’oublier.
– Où est-elle ?
– À quoi bon ? On dit qu’un dragon, attiré par l’éclat, y a bâti sa demeure et qu’une immense cité de verre a surgi en une nuit.
Kochtchéï sursauta. « On dit que » signifiait que son témoin mentait, qu’encore une fois, il s’agissait de l’homme qui avait vu l’homme qui avait… Le marchand finit par avouer qu’effectivement, il n’y était pas allé, mais qu’il avait recueilli un voyageur à moitié mort qui en revenait, l’énorme cristal qu’il avait avec lui en était la preuve.
– Ne puis-je le rencontrer ?
– Il s’est éteint peu après. Il avait été brûlé assez sévèrement… par le dragon, sans doute. Cela m’a dissuadé de poursuivre plus loin.
Bien que son interlocuteur n’ait pas plus que les autres aperçu la merveille, il avait, le premier, prononcé le mot « dragon ».
Ces êtres sont attirés par la magie et la pratiquent, or le cristal est un élément essentiel de cet art, ce que, seuls, les initiés savent. Le commun des mortels n’aurait pu inventer ce détail. Cela renforçait considérablement la probabilité qu’une telle montagne existe et Kochtchéï se décida à rechercher plus systématiquement, plus énergiquement, cet éden.
Si l’on ignorait à peu près tout du lieu, on n’en connaissait guère plus sur le monstrueux maître qu’il s’était donné, sauf qu’il avait exigé qu’on le reconnaisse pour roi sous le nom d’Idolichtiè, qu’il était d’une cruauté qui n’avait d’égal que sa voracité qui n’était rien comparée à sa cupidité, et qu’il faisait régner sur la cité et celles d’alentour une terreur sans nom. On le disait immortel, mais l’avait-on seulement combattu ?
– Je le tuerai, je m’emparerai de sa ville et j’en ferai la capitale d’un empire magique, songea Kochtchéï et il sentit le désir de vivre revenir en lui. Le visage de Vassilissa ne s’effaça pas de son esprit, mais il apparaissait désormais à travers la montagne de cristal, plus flou, plus supportable.