En l’écoutant, Kochtchéï eut la gorge sèche. Les mots résonnaient au fond de lui : espace infini, brise légère, au loin, là-bas, etc. C’était une vieille rengaine populaire russe, mais la voix forte, insouciante et cristalline portait, elle aussi, la beauté de ce pays que le sorcier aimait tant. Il avait envie tout à la fois de ralentir le pas pour faire durer ce moment et de courir pour découvrir au plus vite la chanteuse. Était-ce Vassilissa ?
C’était la fin de l’après-midi et les ombres étaient grandes et énigmatiques. Il aperçut celle de la jeune fille. Elle était en train de faire une tapisserie et sa silhouette accomplissait une chorégraphie mystérieuse, mystique, un remerciement pour le jour qui s’achevait, pour son esprit en paix. C’était une danse si païenne qu’elle en était quasi religieuse. Kochtchéï sentit son cœur battre à tout rompre, il ne pouvait bouger.
– Quand il fera noir, les ombres se dissiperont, je pourrai, alors, de nouveau me mouvoir. Pour l’heure, goûtons l’instant.
Mais bientôt apparut Vassilissa la très belle, avec ses yeux mauves et son doux sourire. Elle n’était plus une enfant, la fleur était éclose. Elle s’attendait à ce que l’ami de son père soit une personne plus âgée, elle avait en face d’elle un jeune homme, à l’allure trop noble pour être un commerçant. Aussi, après l’avoir salué, elle lui demanda ce qu’il désirait. Un ange s’adressait à lui et il ne sut que répondre, elle dut répéter sa question. Heureusement pour lui, il était immortel, mais il était vaincu, alors il lui murmura :
Une parole de toi, Ô, ma toute belle, Ô, ma toute tendre, Une parole de toi Et je serai guéri.
J’ai détesté les hommes, Car ils m’ont rejeté. J’ai détesté Dieu, Car Il les a créés, Mais s’Il t’a créée…
Un regard de toi, Une lueur de tes pupilles, Un espoir dans tes yeux, Un regard de toi Et je serai guéri
Tu peux mettre fin au conte. Tu peux faire de Kochtchéï Le protecteur des hommes, Le serviteur de Dieu, Et les êtres heureux.
Un souffle de toi, Un geste de toi, Une caresse de toi, Un souffle de toi, Et je serai sauvé.
Kochtchéï posa un genou à terre et sollicita la main de la jeune fille qui, en retour, demanda le temps de la réflexion.
– À demain, alors, dit le sorcier qui n’insista pas plus.
Il avait tant besoin de ces quelques heures pour se ressaisir. Il partit retenant son souffle pour garder dans ses poumons l’air qu’avait expiré la belle, pour conserver dans ses narines son parfum d’orchidée.