Vassilissa
– Tu n’aimerais pas que je te transforme en une ravissante princesse ? Tu aurais alors à tes pieds tous les monarques de ce monde. Tu choisirais le plus beau, le plus doux, le plus riche ou le plus puissant, le menaçant à tout instant s’il n’était pas sage de le changer, d’un baiser, en crapaud.
La grenouille éclata de rire. Elle plongea dans l’étang et, en quelques brasses rapides, s’éloigna du jeune homme qui ne se lassait pas de la voir s’ébrouer dans l’eau, si gaie, si jolie, si gracieuse quand elle nageait.
Elle revint vers lui tout aussi prestement et lui demanda :
– Coa, coa, est-ce que les princesses ont le droit de patauger dans les mares boueuses ?
– À condition d’être transformées en grenouille ! répondit Kochtchéï, hilare. Il venait de rencontrer les trois filles du tsar et les imaginer dans cette mare avec son amie était plus que plaisant. Il suffirait de trois baisers de sa part, une par demoiselle et pop ! pop ! pop ! elles seraient devenues trois adorables batraciens. Question beauté, elles n’y perdraient pas au change, l’aînée boitait, la seconde louchait et la troisième était tout simplement repoussante. Mais, comme à leur futur époux elles apporteraient richesse et pouvoir, elles trouveraient chaussure à leur pied. Zuma, par contre, était ravissante avec ses fines pattes et sa peau olive. Le printemps était de retour et la nature insouciante s’était rhabillée de gaietés arc-en-ciel, l’hiver de noir et de blanc vêtu était oublié, le vert triomphait, mais toutes les couleurs renaissaient avec une tendresse destinée à disparaître dès l’été venu. Kochtchéï apprécia ce bonheur simple qui envahissait son être et qu’amplifiait la présence de Zuma. Il en avait bien besoin. Pour accéder à l’immortalité, il avait dû renoncer au terrifiant pouvoir qui lui avait permis de survivre quand il n’était qu’un enfant, ce don effrayant qui avait soumis sa mère, une sorcière au cœur dur comme la pierre, l’obligeant à le laisser vivre, à l’élever et que l’on appelle la compassion. En déposant son âme en dehors de lui, il n’était plus en mesure d’éprouver la moindre empathie envers les autres ni donc de les contraindre à en avoir pour lui. Désormais, pitié ne faisait plus partie de son vocabulaire. Avec le temps, il regrettait terriblement d’avoir dû faire ce sacrifice, non à cause des hommes, mais à cause des bêtes. Ces derniers savaient vous aimer, sans rien attendre en retour. Lorsqu’il était triste, ils s’approchaient de lui et tentaient par frottements, doux feulements, grognements tendres, roucoulements et chants divers de le consoler, ne comprenant pas pourquoi il était dans cet état et faisant tout pour qu’il cesse de l’être. Ils étaient maladroits, c’était touchant et, finalement, réconfortant. Désormais, ils continuaient à lui obéir, contraints et forcés par sa voix, mais ils faisaient tout pour l’éviter. Seule, Zuma était restée son amie.
– Coa, coa, joue avec moi, supplia-t-elle. Transforme-toi et viens nager.
– Hélas ! Je ne peux faire attendre Baba Yaga. Elle m’a demandé de passer.
Elle le vit s’en aller. La petite fille qu’elle avait été, la femme qu’elle serait devenue regardaient avec affection et une pointe de désir le magnifique jeune homme qui s’éloignait. Il était habillé de vêtements amples, cousus par des tailleurs de renom dans des tissus de qualité supérieure, et portait toujours, bien dissimulée, une dague. Les quelques années passées auprès de divers sorciers pour apprendre d’eux avaient apporté à son fin visage d’adulte trop tôt formé qu’encadraient de longs cheveux noirs une profonde gravité. Ce n’était plus l’enfant qu’elle avait connu. Il se dégageait de lui une force et une volonté telles qu’instinctivement, avant même de savoir qui il était, on le respectait. Il valait mieux d’ailleurs. L’homme était devenu un redoutable enchanteur et un bretteur habile. On le craignait, on sollicitait son aide, du moujik au tsar, lui suivait sa propre voie sans se soucier ni des gens, ni de l’or, ni de la gloriole.