I. Baba Yaga
Épuisée par sa longue course et par son chagrin, Vassilissa sombra rapidement. Quand elle se réveilla à l’aube, sa poupée, qui, elle, avait réfléchi toute la nuit, avait un plan :
– Pour l’or, l’argent, les pierres précieuses, le problème est facile à résoudre. Baba Yaga n’a entassé tous ces objets que parce qu’elle désire posséder ce dont les autres sont avides, mais en réalité, elle n’en a que faire.
– Un peu comme quand elle mange ! Elle dévore tout, mais n’apprécie rien : elle a englouti d’épaisses tranches de jambon en sandwich entre deux tartes aux poires !
– C’est ça, Vassilissa. Tels des diamants qui ne brillent pas dans le noir, ces trésors pâlissent d’être ainsi délaissés. Il te suffit donc d’un regard pour leur redonner tout leur éclat. Sa chaumière alors rayonnera comme un palais et Baba Yaga ne verra plus la poussière. Elle sera satisfaite.

Vassilissa prit dans ses mains une rivière de saphirs, celle-ci immédiatement se mit à resplendir. De quelle reine ornait-elle le cou avant de finir misérablement dans l’antre de la sorcière et qu’était devenu ce cou ? Elle porta après son regard sur deux colliers. L’un d’or pur, l’autre de diamants, le tout si finement ciselé ! Vassilissa jeta à nouveau un œil sur le premier, persuadée que, devant son admiration pour les suivants, il se serait vexé et aurait, de nouveau, terni. Mais les objets sont, parfois, plus sages que nous et savent leur réelle valeur.
– Pour les araignées, c’est encore plus simple. On est en été. Il te suffira de leur dire le temps qu’il fait dehors, la douceur des nuits. Parle-leur du zéphyr et du plaisir de se balancer d’arbre en arbre au gré de son humeur. Elles pourront toujours revenir avec l’hiver pour trouver ici un abri. Je vais t’apprendre leur langage.
Ainsi fit Vassilissa. Elles s’empressèrent de lui obéir. Elles s’étaient réfugiées dans l’antre nauséabond par grand froid et avaient oublié le reste du monde. Beaucoup, avant de partir, aidèrent la jeune fille à nettoyer, car elles voulaient laisser une bonne impression afin d’être bien accueillies à leur retour.
Vassilissa ouvrit les fenêtres et les araignées s’en furent ainsi que l’odeur qui régnait dans la hutte. Les gonds firent un bruit épouvantable, car ils n’avaient jamais été huilés. Des millions de fourmis apparurent, sortis de nulle part. Leur reine protesta auprès de la poupée.
– Madame, vous qui semblez censée, ne pouvez-vous pas faire comprendre à cette écervelée que le moindre grincement de ces volets agit sur nos fourmilières comme un véritable tremblement de terre ?
– Hélas, cette jeune fille a besoin de lumière. Baba Yaga n’était jamais là le jour, elle n’ouvrait ni ne fermait les persiennes.
– Au moins ne peut-elle pas lubrifier ces gonds ?
La poupée, souriante, montra alors le tas de graines de sable et de pavot. La colonie se mit au travail. Quelques minutes plus tard, Vassilissa put presser les grains et obtenir assez de liquide pour huiler les charnières, remplir trois bouteilles. Kukolka lui demanda d’en réserver une pour elle et de la cacher sous sa jupe, puis elle lui conseilla d’interroger Baba Yaga sur ses trois cavaliers-serviteurs.
– Il faut connaître tes adversaires, si tu veux pouvoir tromper leur surveillance.
Quand la vieille sorcière rentra de son voyage, elle dut reconnaître, en grommelant, que la gamine s’était largement acquittée de sa part du contrat. Sans lui permettre de réagir, elle l’enchaîna à un mur par la cheville.
– Ma fille, ce sera une nuit peu confortable, mais tu es bien trop maligne pour que je puisse te laisser dormir en toute liberté et je suis trop fatiguée pour te manger ce soir.
– Vous n’allez pas respecter votre parole ?
– Tiens ? Tu es donc plus naïve que je le pensais !
Vassilissa se souvint des conseils de Kukolka et interrogea la sorcière.
– Grand-mère, en arrivant chez toi, j’ai croisé tes trois cavaliers, ceux qui sont censés défendre ta demeure. Or aucun n’a vraiment essayé de m’empêcher d’approcher. Pourquoi ?
Baba Yaga éclata de rire. Elle adorait cette petite. Elle aimait d’une manière générale les enfants curieux. Ils étaient plus faciles à attraper et ils avaient un je-ne-sais-quoi qui imprégnait leur chair et la rendait si suave.
– Ils ne pouvaient rien te faire. Le cavalier blanc, c’est l’aube ! Il passe majestueux, car il porte l’espoir de la journée. Le rouge, c’est le soleil, lointain et toujours présent, le jour donc ! Quand au noir, le plus effrayant, ce n’est que la nuit.
Elle se tut et observa attentivement Vassilissa de ses yeux méchants, essayant de percer les secrets de ce visage trop lisse. La question n’était pas anodine et elle avait bêtement expliqué à sa prisonnière que personne n’irait à sa poursuite si elle tentait de s’enfuir. Elle s’en voulut de s’être fait prendre par une gamine de dix ans. Elle vérifia la chaîne à la cheville de la fillette. « Aucune chance qu’elle s’échappe ! » conclut elle et elle alla se coucher.
Inquiète, elle guetta longtemps les bruits pour savoir ce que faisait sa captive, sans rien percevoir. C’est étrange, se dit-elle, dans sa situation, elle devrait essayer de tirer sur ses entraves pour fuir et je devrais entendre le grincement du fer. Pourquoi ne gémit-elle pas ? Pourquoi ne pleure-t-elle pas ? Pourquoi se tait-elle ? Serait-elle donc fataliste ? Accepterait-elle son destin, sans tenter de s’évader ou de m’attendrir ? À son âge ?