De surprise, Laszlo écarquilla les yeux, ce qui le réveilla.
Le soleil venait à peine de se lever et sa douce clarté traversait les persiennes de la roulotte. Il était seul. Pourtant, outre le canapé où il était couché, il y avait deux planches en hauteur qui servaient de lits, avec tout le confort nécessaire, matelas, oreillers et couvertures. En dessous, il y avait une table et des chaises, une étagère avec des épices, une petite armoire. On préparait toujours la cuisine à l’extérieur, mais en cas de pluie, on mangeait à l’intérieur. Les propriétaires voulaient avoir à portée de main, voire de regard, ce dont ils avaient besoin et cela donnait une impression de fouillis – en réalité, toute chose était bien rangée, car on n’avait pas assez de place pour laisser traîner ses affaires – et un côté chaleureux et bon enfant au logement. Celui-ci était à l’image des Tziganes qui avaient accueilli Laszlo, la veille. Il allait à un mariage et, sur le chemin, il avait rencontré cette troupe de nomades. Ils avaient parlé, sympathisé. Ils lui avaient offert l’hospitalité pour la nuit, une famille lui cédant sa roulotte et dormant avec d’autres. Il n’avait pas refusé, pas même fait mine de le faire. C’était ainsi, il s’était contenté de les remercier. Maintenant, en regardant le bois chaud du toit incurvé, en respirant l’atmosphère confinée, mais chaleureuse de l’habitacle, en découvrant, à travers les volets toujours mal fermés ce ciel d’aurore, gris et rosé, où la lumière se dispute avec les ténèbres et finit par gagner, il appréciait encore plus ce geste. C’était le dernier jour de sa vie, car nous étions le 22 août, et il était content de le passer là, à côté de ces gens si simples.
La veille, la soirée s’était transformée en une petite fête. Il jouait du violon, les autres de la guitare et des castagnettes. La caravane faisait un cercle au milieu duquel une piste de danse impromptu avait été créée, les enfants criaient et couraient à droite et à gauche avec l’entrain et la grâce de cet âge. Un feu au centre entretenait une douce chaleur dans la fraîcheur très relative de cette soirée d’été. Il y avait beaucoup à boire, peu à manger. Cependant, le roi n’était pas leur cousin et les rires, les chants, les histoires se poursuivirent tard dans la nuit.
Et puis, il avait fallu se séparer, aller se coucher. Laszlo n’était pas retourné seul à sa roulotte, une gitane l’accompagnait, une gentille fille, avec de beaux yeux sombres que sa main habile avait agrandis à l’aide de khôl, une large boucle d’oreille en argent et un foulard rouge enroulé dans ses cheveux complétaient sa parure. Elle portait une ample jupe noire et un corsage couleur sang, couleur passion. Sur la table traînait un tarot. Alors elle lui avait proposé, avant de se coucher, de tirer les cartes, de voir s’il retrouverait sa bien-aimée. Laszlo avait sursauté. Comment le savait-elle ? Il ne se rappelait pas avoir songé à Lioubov ce soir-là. C’était même la première fois depuis leur rencontre que cela se produisait. Pour toute explication à la question qu’il n’avait pas exprimée, il eut droit au sourire malicieux de la diseuse de bonne aventure.
– C’est très simple, tu vas voir ! Tu mélanges le paquet en le battant ou en le coupant autant que tu veux, puis tu tires une carte. C’est la réponse à ton interrogation. Tu recommences le manège et tu en prends une deuxième que tu poseras à droite de la première, puis une troisième à gauche. Elles vont compléter cette réponse, la confirmer, la renforcer, la préciser ou la nuancer, l’atténuer, la contredire.
Il procéda comme indiqué. Il était mal à l’aise en mélangeant le jeu. Il est toujours difficile de parler de l’amour de sa vie à la fille qui doit réchauffer votre solitude d’un soir. Elle s’en moquait. Ni lui ni elle ne désiraient prolonger leur rencontre au-delà de la nuit. Il craignait aussi de connaître son destin, mais il n’osa refuser. Se jetant à l’eau, il sortit les trois lames, les unes après les autres, sans prendre le temps de bien battre entre deux tirages.
Le verdict fut sans appel.