La magie qui maintenait la cohésion entre toute chose, entretenait l’illusion, disparut instantanément, le cristal, né de l’eau et de la pierre combinées par sorcellerie, redevenait eau et pierre, le palais de verre se mit à fondre et la montagne commença à se disloquer. Les maçonneries suintaient, les routes étaient glissantes, boueuses, les tuiles tombaient des toits en faisant de grands flocs. Des poches liquides se formaient dans la roche, des trous se creusaient, d’immenses cavernes apparaissaient sous la surface, puis, atteignant une taille critique, s’effondraient brutalement, provoquant des tremblements de terre. À travers le verre, on pouvait voir sous ses pieds naître des ruisseaux qui tourbillonnaient, accentuant la fonte.
Dans la cité, les murs ruisselaient, les immeubles s’affaissaient, les statues se brisaient, certains êtres en hurlant se désarticulaient tandis que les humains, les vrais, quittaient les lieux maudits, marchant au milieu d’un torrent qu’Ivan tentait de remonter. Ne connaissant pas son terrible sort, il imaginait Vassilissa en grand danger, enfermée dans un cachot ou dans une chambre, incapable de fuir comme tous les autres habitants, alors que la ville et même la montagne se disloquaient.
Pendant que tout se délitait, la tour continuait à se dresser fièrement, comme si elle était la seule chose réelle qui fut en ce royaume. Attiré par elle comme par un aimant, Ivan avançait. Plus il s’en approchait, plus c’était facile, le cœur de la capitale se vidait. Quand il arriva au pied du donjon, le palais n’était plus que ruine et il entama la longue montée vers sa bien-aimée. Il sentit la tour en train de vaciller, car si ses pierres restaient solides, en dessous, la montagne se défaisait, des trous béants se formaient, la terre tremblait. Il ne doutait pas que, là-haut, Vassilissa l’espérait. Il continua, marche après marche. Il y eut un nouvel effondrement. Une partie de l’escalier, derrière lui, avait disparu. Plus de retour en arrière. Peu importe, il progressait toujours, il devait la libérer. Tout, après, serait possible. Quand il pénétra dans sa chambre, il vit tout de suite la sculpture et sut aussitôt que c’était elle tant la joie rayonnait de la roche. Elle le regardait, heureuse, souriante, apaisante. « Le bonheur existe », affirmait ce qui avait été Vassilissa la très belle.
Ivan s’en approcha. Était-ce la résurgence d’une source que les bouleversements dans la montagne avaient provoquée, de l’eau coula tout à coup des yeux de granit. Ému, il prit la statue entre ses bras et la serra de toutes ses forces. Il pleurait lui aussi et ses larmes se mêlèrent à celles qui sourdaient de la roche. Il sentit battre le cœur de la jeune fille : « T’aime… T’aime… T’aime… », mais peut-être n’était-ce que le grondement du torrent qui se formait sous la cité de verre ? Il l’étreignait de plus en plus fort. Sa chaleur de vivant pour réchauffer la pierre. Sa chair s’enfonça en elle, se changea en minéral, fusionna avec le granit comme si le sortilège de Kochtchéï s’étendait à lui et il resta à jamais enchaîné à elle.