Les rêves pouvaient se réaliser et être mensongers. Il tuerait bien Ivan après l’avoir fragilisé en lui annonçant la disparition de Vassilissa, il le lierait avant au pied de la statue pour qu’il partage un peu de sa souffrance à quelques centimètres de la fibule qui aurait pu lui assurer la victoire, comme il l’avait vu dans son cauchemar, mais en réalité c’était lui qui serait enchaîné à la pierre à tout jamais. Il ne triompherait pas, il était à la merci de quiconque s’approcherait de la sculpture, prendrait le bout de bois et briserait son âme, lui seul en était incapable, même pour se protéger.
Il se transforma en dragon et s’envola au-dessus de son royaume, fouillant du regard tous les chemins. Ivan se cacha dans un recoin de la roche, à mi-hauteur de la montagne.
– Finist-Fier Faucon, mon ami, rejoins Vassilissa et dis-lui que j’arrive, qu’elle garde confiance. Apprends-lui que nous savons comment tuer Kochtchéï.
Le faucon partit immédiatement. Dans le ciel, un être gigantesque observait les routes projetant une ombre démesurée sur le dôme et la ville de verre. Les animaux se terraient, le cristal ne brillait plus et le paysage semblait désolé. De plus, ses battements d’ailes provoquaient un vent violent et froid. Finist-Fier Faucon lui-même avait du mal à progresser. Heureusement, le minuscule oiseau n’eut aucun effort à faire pour échapper à la surveillance du monstre, car ce dernier ignorait qu’il était vivant. Il atteignit sans difficulté la cité de verre qu’il trouva en grand émoi.
Jouant ingénieusement avec le cristal et la lumière, les architectes avaient rendu les parois plus ou moins opaques, ne laissant voir de l’extérieur qu’une forte clarté qui éclairait les pièces. Parfois, suivant l’angle des rayons du soleil, les murs fonctionnaient comme un miroir sans tain et permettaient aux habitants d’être confortablement installés dans leur salon au milieu de l’agitation des rues. Par moment, cela œuvrait en sens inverse et la nuit, quand on allumait les lampes à l’intérieur des appartements, on donnait à la vue de tous le spectacle d’une vie sereine. Quel que soit l’agencement des cristaux, on avait perçu une ombre dans le ciel et tous étaient sortis. L’obscurité soudaine, le vent froid provoqua un profond malaise comme l’annonce de temps incertains. La vue du dragon confirma cette impression et les replongea quelques années auparavant durant le règne d’Idolichtiè.
– Ils sont de retour !
Les plus fatalistes affirmèrent qu’ils l’avaient toujours su. La cité était maudite, le cristal attirait ces monstres comme l’aimant le fer. D’autres s’interrogèrent sur Kochtchéï. Pourquoi leur roi ne réagissait-il pas ? Il est vrai que la créature volante planait sur la ville sans chercher à la détruire, que pour l’instant, lui ne pouvait la combatte puisqu’elle évoluait dans les airs. Mais on aurait voulu qu’il apparaisse, qu’il donne des ordres, qu’il mobilise les énergies, qu’il agisse, qu’il rassure. Tous les regards se portèrent vers le palais, plus précisément vers la tour où, depuis que Vassilissa y était enfermée, leur maître passait une grande partie de son temps.