Son mari parti, sa santé ne s’améliora pas. Il faut dire que les gens ne croient pas au malheur, qu’ils s’imaginent invincibles. Tu as mal, dis-tu ? Arrête de t’écouter, secoue-toi ! Lioubov se démena, gronda son épuisement qu’elle prenait pour de la paresse, s’acharna dans le potager, prit soin de Vassilissa, se voulut plus forte qu’elle ne l’était. Plus elle était malade, plus elle s’activait. À ce régime, son corps lâcha. Elle se retrouva au lit, livide, respirant difficilement, crachant du sang.
Elle qui, sorcière, avait toujours vécu en marge, voire dans l’hostilité de son entourage, en particulier des autres femmes, découvrait la solidarité d’un village. Sa voisine qui habitait à une verste de là venait tous les matins apporter de quoi manger, donnait un coup de main pour le ménage, allumait un véritable brasier dans la cheminée, veillait à ce qu’elle prenne ses infusions, rapportait les ragots, bref, maintenait la vie dans la maison, la maintenait en vie. Quand elle s’en allait, Lioubov allait se recoucher, épuisée. Elle dormait toute l’après-midi et souvent ne se levait que le lendemain. Elle tentait alors de se bouger.
Le feu était éteint, la demeure à nouveau glaciale, mais elle n’eut pas le courage de le relancer. Avant tout s’occuper de Vassilissa. Être si faible que l’on ne peut plus penser à son enfant, n’y a-t-il rien de plus terrifiant ? Elle lutta contre ses vertiges, elle essaya de respirer pour avoir assez d’air pour agir. Le ronflement que cela produisit l’épuisa.
Il faut demander à Anya (c’était sa voisine) d’accueillir ma fille quelques jours chez elle. Je pourrais plus facilement récupérer.
Sa décision adoptée, la maison se mit à tanguer.
Je dois me coucher. Avoir la force d’aller jusqu’à mon lit ! Ne pas m’effondrer au milieu de la pièce. Ne pas affoler Vassilissa. Où est-elle d’ailleurs ?
En tâtonnant, Lioubov se dirigea vers l’escalier qui menait à l’étage, elle reviendrait quand elle serait reposée, quand elle serait de nouveau dispose, elle essaierait alors de parler à sa fille. Mais comment reprendre des forces en vomissant tout ce qu’on avale ? Elle était trop fatiguée pour s’occuper de ce détail. Il fallait se concentrer sur le plus urgent : gravir les marches, regagner sa chambre. Elle s’effondra sur son matelas. Il y avait comme un rideau d’eau autour d’elle, une cascade, elle voyait tout trouble et elle avait un bourdonnement qui l’empêchait d’entendre.