L’été passa très vite. Ils se retrouvèrent régulièrement, allant le plus souvent directement à l’étang pour s’y baigner le plus longuement possible. Zuma avait dissimulé dans le trou d’un tronc d’arbre une serviette et elle se séchait soigneusement avant de rentrer. Pour Kochtchéï, cela signifiait qu’elle cachait leurs jeux à ses parents et cela le remplissait d’aise : elle avait son jardin secret et il y était. Quand il n’était pas avec elle, quand il n’était pas à fouiller dans la cabane de Baba Yaga (il faisait très attention et ne s’attardait pas, la vieille avait le nez fin, y séjourner trop longtemps aurait laissé des odeurs trop fortes), il épiait le village. Il trouvait que le regard des autres avait changé. Beaucoup de garçons, même ceux de son âge, beaucoup d’adultes détaillaient, désormais, la jeune fille avec concupiscence. Sans pudeur. Lorsqu’elle s’en apercevait, Zuma partait d’un éclat de rire qui leur faisait baisser la tête, tout penauds, ce qui la rendait encore plus désirable, ce qui les rendait encore plus fous. Et Kochtchéï plus désespéré.
Très vite, les beaux jours s’en furent. L’étang se couvrit de feuilles mortes qui y pourrissaient, ils cessèrent de se baigner et, bien souvent, des sautes de vent froid les obligeaient à renoncer à une promenade. Zuma avait moins de temps à lui consacrer, semblait plus apprécier les autres, plus s’amuser avec eux. Quand elle annulait un rendez-vous, il sentait son cœur lui monter à la gorge et l’étouffer.
Sans qu’il s’en aperçoive, l’hiver fut là. Sinistre.
La neige était tombée, recouvrant de tout de sa blancheur chaumes, étables et résidences seigneuriales, forçant bêtes et gens à se réfugier sous un toit ou au fond d’un terrier. À côté des épicéas qui conservaient avec arrogance leur verdure, les feuillus, nus, ressemblaient à des êtres fantomatiques qui déchiraient un ciel maussade, tourmenté. Seul, un rayon de soleil froid, profitant d’un trou dans la masse nuageuse, amenait un peu de lumière que réfléchissait le sol apportant une touche d’espoir dans cette grisaille. L’étang était au trois quarts gelé et l’on entendait la bise souffler au lieu des chants joyeux des batraciens et des oiseaux. Sur la rive, un être gigantesque, noir, aux multiples bras décharnés et aux innombrables doigts semblait veiller sur le sommeil givré des eaux. Il s’agitait au gré du vent. Zuma eut un pincement au cœur. Elle saisit avec force la main de Kochtchéï. Cet arbre qui les avait si gentiment protégés des ardeurs du soleil quelques mois plus tôt dressait contre eux sa masse sombre, toujours aussi puissante, mais désormais hostile, dépourvue du moindre feuillage. Le jeune garçon obligea son amie à le lâcher en détachant un à un ses doigts, puis, libre, il se dirigea vers le saule. Il se colla contre son tronc et le serra entre ses bras. D’abord, il n’éprouva rien que de très physique, la rugosité de l’écorce, le froid et l’humidité laissée par quelques flocons. Au bout de quelques secondes qui lui parurent bien longues, il sentit le végétal se réchauffer et la sève monter. Il serra plus fort, il aurait voulu se fondre en lui pour accélérer le processus. Ému par le désir muet, mais violent, de l’enfant, trompé par la chaleur qui émanait de lui, l’arbre, se croyant au printemps, redressa sa ramure. De minuscules pousses apparurent sur les branches, de nouvelles tiges naquirent, les feuilles grandirent, prenant des formes très arrondies. Enfin, des fleurs de couleurs très variées, mais toutes dans des tons blancs, roses et violets, bourgeonnèrent avant d’éclore en de petites coupelles offrant leur pistil. Kochtchéï s’arrêta. Il était trop épuisé pour aller jusqu’aux fruits. Zuma regardait, émerveillée, l’arbre qui ressemblait à un immense bouquet.
– Mais, ce sont des nénuphars !
Kochtchéï était fier de sa trouvaille. Après tout, on était au bord d’un étang. Elle riait et le serra dans ses bras.
– C’est mon plus beau cadeau de Noël.
Elle sautait en frappant des deux mains de bonheur comme une enfant et cela le rendit triste. Quelques mois plus tôt, il aurait partagé ce bonheur. Hélas, il comprenait que ce qu’il venait de lui offrir ne suffisait pas, qu’il avait séduit la fillette qui était encore en elle et non la femme qu’elle était déjà.